dimanche 17 août 2008

Le mendiant

Il y a très longtemps, dans l'anti-temps, un homme qui a tout eu dans la vie et qui a tout perdu, pleurait sur son passé. Il avait été beau, riche, poli. Les grands hommes venaient chez lui pour prendre part à sa sérénité, et les petits pour partager sa joie. Ses belles femmes lui mettaient sa sandale, et elles embrassaient ses pieds. Ses beaux enfants écoutaient sa parole et l'apprenaient pour la transmettre plus tard à leurs enfants. Cet homme avisé avait la joie de l'oiseau et la paix du sable. Mais il a tout perdu. C'est pourquoi, assis au bord du chemin, loin du calme et du bonheur, du pain et du vin, de la femme et de l'enfant, l'homme pleurait. C'est alors qu'il entendit un chant. Il retint ses pleurs et attendit. Au bout du sentier, presque traînaillant, s'approchait un mendiant. Il était vieux, ses yeux larmoyants laissaient voir l'intérieur jaune de la paupière, les parasites pullulaient dans ses haillons, son balluchon ne révélait la présence de nulle miche de pain. Mais il chantait. Lorsqu'il passa, l'homme triste -qui avait tout perdu sauf la sagesse- s'est posé lui-même cette question: "Si ce mendiant chante, dis-moi, pourquoi pleures-tu, toi qui as de si beaux souvenirs?

N'abîme pas ce qui sera ta seule richesse plus tard. Fais toujours en sorte que la mémoire d'aujourd'hui n'embrouille pas le lendemain...


Extrait du conte "Las mareas vuelven de noche",
de l'auteure costaricaine Yolanda Oreamuno.